Nomenclature des différentes parties constitutives de l'air de l'atmosphère.



Jusqu'ici j'ai été forcé de me servir de périphrases pour désigner la nature des différentes substances qui composent notre atmosphère, & j'ai adopté provisoirement ces expressions, partie respirable, partie non respirable de l'air. Les détails dans lesquels je vais entrer, exigent que je prenne une marche plus rapide, & qu'après avoir cherché à donner des idées simples des différentes substances qui entrent dans la composition de l'air de l'atmosphère, je les exprime également par des mots simples.
La température de la planette que nous habitons se trouvant très-voisine du degré où l'eau passe de l'état liquide à l'état solide, & réciproquement, & ce phénomène s'opérant fréquemment sous nos yeux, il n'est pas étonnant que dans toutes les langues, au moins dans les climats où l'on éprouve une sorte d'hiver, on ait donné un nom à l'eau devenue solide par l'absence du calorique.
Mais il n'a pas dû en être de même de l'eau réduite à l'état de vapeur par une plus grande 52addition de calorique. Ceux qui n'ont pas fait une étude particulière de ces objets, ignorent encore, qu'à un degré un peu supérieur à celui de l'eau bouillante, l'eau se transforme en un fluide élastique aériforme, susceptible comme tous les gaz, d'être reçu & contenu dans des vaisseaux, & qui conserve sa forme gazeuse tant qu'il éprouve une température supérieure à 80 degrés, jointe à une pression égale à celle d'une colonne de 28 pouces de mercure. Ce phénomène ayant échappé à la multitude, aucune langue n'a désigné l'eau dans cet état par un nom particulier; & il en est de même de tous les fluides, & en général, de toutes les substances qui ne sont point susceptibles de se vaporiser au degré habituel de température & de pression dans lequel nous vivons.
Par une suite de la même cause on n'a point donné de nom à la plupart des fluides aériformes dans l'état liquide ou concret; on ignoroit que ces fluides fussent le résultat de la combinaison d'une base avec le calorique; & comme on ne les avoit jamais vus dans l'état de liquide ni de solide, leur existence sous cette forme étoit inconnue même des Physiciens.
Nous n'avons pas jugé qu'il nous fût permis de changer des noms reçus & consacrés dans la société par un antique usage. Nous avons 53donc attaché au mot d'eau & de glace, leur signification vulgaire; nous avons de même exprimé par le mot d'air la collection des fluides élastiques qui composent notre atmosphère; mais nous ne nous sommes pas cru obligés au même respect pour des dénominations très-modernes nouvellement proposées par les Physiciens. Nous avons pensé que nous étions en droit de les rejetter & de leur en substituer d'autres moins propres à induire en erreur; & lors même que nous nous sommes déterminés à les adopter, nous n'avons fait aucune difficulté de les modifier & d'y attacher des idées mieux arrêtées & plus circonscrites.
C'est principalement du Grec que nous avons tiré les mots nouveaux, & nous avons fait en sorte que leur étymologie rappelât l'idée des choses que nous nous proposions d'indiquer; nous nous sommes attachés sur-tout à n'admettre que des mots courts, & autant qu'il étoit possible, qui fussent susceptibles de former des adjectifs & des verbes.
D'après ces principes, nous avons conservé à l'exemple de M. Macquer, le nom de gazemployé par Vanhelmont, & nous avons rangé sous cette dénomination, la classe nombreuse des fluides élastiques aériformes, en faisant cependant une exception pour l'air de l'atmosphère. 54Le mot gaz est donc pour nous un nom générique, qui désigne le dernier degré de saturation d'une substance quelconque par le calorique; c'est l'expression d'une manière d'être des corps. Il s'agissoit ensuite de spécifier chaque espèce de gaz, & nous y sommes parvenus en empruntant un second nom de celui de sa base. Nous appellerons donc gaz aqueux, l'eau combinée avec le calorique, & dans l'état de fluide élastique aériforme: la combinaison de l'éther avec le calorique, sera le gaz éthéré; celle de l'esprit-de-vin avec le calorique, sera le gaz alkoolique; nous aurons de même le gaz acide muriatique, le gaz ammoniaque, & ainsi de tous les autres. Je m'étendrai davantage sur cet article quand il sera question de nommer les différentes bases.
On a vu que l'air de l'atmosphère étoit principalement composé de deux fluides aériformes ou gaz, l'un respirable, susceptible d'entretenir la vie des animaux, dans lequel les métaux se calcinent & les corps combustibles peuvent brûler; l'autre qui a des propriétés absolument opposées, que les animaux ne peuvent respirer, qui ne peut entretenir la combustion, &c. Nous avons donné à la base de la portion respirable de l'air le nom d'oxygène, en le dérivant de deux mots Grecs οξυς, 55acide, & γεινομαι, j'engendre, parce qu'en effet une des propriétés les plus générales de cette base est de former des acides, en se combinant avec la plupart des substances. Nous appellerons donc gaz oxygène la réunion de cette base avec le calorique: sa pesanteur dans cet état est assez exactement d'un demi-grain poids de marc, par pouce cube, ou d'une once & demie par pied cube, le tout à 10 degrés de température, & à 28 pouces du baromètre.
Les propriétés chimiques de la partie non respirable de l'air de l'atmosphère n'étant pas encore très-bien connues, nous nous sommes contentés de déduire le nom de sa base de la propriété qu'a ce gaz de priver de la vie les animaux qui le respirent: nous l'avons donc nommé azote, de l'α privatif des Grecs, & de ζοη, vie, ainsi la partie non respirable de l'air sera le gaz azotique. Sa pesanteur est d'une once, 2 gros, 48 grains le pied cube, ou de 0,4444 grain le pouce cube.
Nous ne nous sommes pas dissimulé que ce nom présentoit quelque chose d'extraordinaire; mais c'est le sort de tous les noms nouveaux; ce n'est que par l'usage qu'on se familiarise avec eux. Nous en avons d'ailleurs cherché long-temps un meilleur, sans qu'il nous ait été possible de le rencontrer: nous avions été 56tentés d'abord de le nommer gaz alkaligène, parce qu'il est prouvé, par les expériences de M. Berthollet, comme on le verra dans la suite, que ce gaz entre dans la composition de l'alkali volatil ou ammoniaque: mais d'un autre côté, nous n'avons point encore la preuve qu'il soit un des principes constitutifs des autres alkalis: il est d'ailleurs prouvé qu'il entre également dans la combinaison de l'acide nitrique; on auroit donc été tout aussi fondé à le nommer principe nitrigène. Enfin nous avons dû rejetter un nom qui comportoit une idée systématique, & nous n'avons pas risqué de nous tromper en adoptant celui d'azote & de gaz azotique, qui n'exprime qu'un fait ou plutôt qu'une propriété, celle de priver de la vie les animaux qui respirent ce gaz.
J'anticiperois sur des notions réservées pour des articles subséquens, si je m'étendois davantage sur la nomenclature des différentes espèces de gaz. Il me suffit d'avoir donné ici, non la dénomination de tous, mais la méthode de les nommer tous. Le mérite de la nomenclature que nous avons adoptée, consiste principalement en ce que la substance simple étant nommée, le nom de tous ses composés découle nécessairement de ce premier mot.

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